Les œuvres de Sylvia RHUD sont souvent de taille humaine, et de rythme soit vertical ou horizontal, comme si elle souhaitait se confronter à des corps humains. De plus ces formats imposants traduisent l’espace dont a besoin l’artiste pour affirmer une gestuelle, une liberté de mouvements, une respiration. Pour valoriser, mettre en exergue ce mouvement du geste, l’œuvre a besoin d’être isolée dans l’espace afin de ne pas être étouffée, démontrant ainsi sa pleine autonomie.
Sylvia RHUD utilise des techniques apprises, et largement éprouvées. Ses œuvres accrochent la lumière : supra-élément qui intervient afin de transformer ces tableaux bidimensionnels en de véritables sculptures.
L’œuvre de Sylvia RHUD est pleine de paradoxes : cette œuvre qui pourtant est profondément chtonienne, tellurique, n’en demeure pas moins empreinte de subtiles épaisseurs atmosphériques. Le feu est également présent par les matières visqueuses de certaines de ses œuvres, semblables à celles que peuvent cracher un volcan. Aimant s’attaquer aux grands formats, l’artiste y exprime toute sa puissance, sa tension, la force du geste.
L’eau y est également représente, comme dans les œuvres intitulées « La Vague, la Nuit était gris-bleu » ou « Ecume ».
De part ses techniques et la noblesse des matériaux utilisés : noir d’ivoire, poudre de marbre et de métaux précieux, pierre pillée, fond de roche, donnant des effets ardoise, des aspects micacés, la minéralité se révèle pleinement par l’action de la lumière qui joue à la fois sur la trituration de la « polychromie », la matité ou non de la matière ; cette lumière travaille ainsi sur le relief, quasi sculptural, intensionnel.
Cette lumière n’est pas un élément mais une matière elle-même, un médium qui interagit avec les autres. Alors que ROTHKO transformait la couleur pour fabriquer de la lumière, Sylvia RHUD exploite la lumière pour « faire fonctionner » son tableau, lui créant ainsi une dynamique.
La combinaison surface « polychrome »/ matière/ relief, conjugués à la lumière, explose dans une vibration de la surface.
Le jeu des matières mates, parfois veloutées, qui « engloutissent », absorbent la lumière et les surfaces plus soyeuses voire métalliques qui au contraire la restituent, provoque un contraste que la lumière sculpte, stimule, fait vibrer aux grès de l’heure de la journée, de l’exposition de l’œuvre.
Alors que dans l’œuvre de SOULAGE la surface picturale présente une matière « mono pigmentaire à polyvalences chromatiques » donc statique, sauf contribution de la lumière, l’œuvre de Sylvia RHUD se métamorphose, certes, « en se frottant à la lumière », lui conférant un léger scintillement, d’une très grande subtilité, que peut prendre une matière précieuse.
On arrive donc à cet autre paradoxe : le carbone peut être lumière, transparence, et pureté, matité et noirceur tout à la fois.
Cette préciosité, elle se révèle dans cette synesthésie qui peut être avancée entre l’œuvre de Sylvia RHUD et « Gaspard de La Nuit » de Maurice RAVEL que DEBUSSY qualifiait de Diamant Noir. Paradoxe de la vibration adamantine dans les ténèbres !
Il ne s’agit pas d’une peinture décorative, dont la pérennité sensorielle est hypothétique, mais d’une peinture savamment construite, qui donne à méditer.
L’artiste ne travaille pas qu’avec le noir mais utilise également des superpositions de couleurs.
Le noir, s’il est une couleur comme nous l’avons vu précédemment, avec ses effets de matité/lumière…, absorbe ces autres couleurs, leur conférant ainsi non pas une transparence mais une sorte de présence fugitive, évanescente, presque fantomatique, ce qui ajoute de manière très subtile, matière à contemplation. Et si cette technique est intentionnelle, la sensation que l’on en éprouve est soit consciente soit inconsciente.
L’œuvre de Sylvia RHUD est fortement influencée par la peinture monochrome Chinoise Song, réalisée à partir d’encre de Chine, elle même composée de noir de fumée, matière carbonée proche du graphite. Influencée par ces paysages des Xème, XIème, XIIème siècles Chinois, à la limite de l’abstraction, et d’une très grande modernité, influencée également par la philosophie Chán, elle donne à voir un tableau de méditation que des lettrés de l’époque Ming n’auraient pas renié. Ces Lettrés auraient pu contempler un de ces tableaux, au même titre qu’une Pierre de Lingbi, cette pierre de Lettré d’une subtile harmonie de gris, créant des paysages moraux qui, de toute évidence, entre en résonnance avec les créations de Sylvia RHUD. Les œuvres de Sylvia RHUD peuvent, elles aussi, se lire comme des paysages à méditer : autre paradoxe de l’œuvre de cette artiste, œuvre qui est à la fois figurative et abstraite, ou tantôt l’une à la frontière de l’autre.
Le travail de Sylvia RHUD reste néanmoins inscrit dans la tradition Française et Italienne du Paysage Moral, Philosophique cher à Nicolas Poussin et à l’Ecole de Rome lors de la première moitié du XVIIème siècle. Elle a en effet longtemps vécue et travaillé en Italie, s’imprégnant du même coup de sa philosophie.
La peinture occidentale donne à retranscrire l’Etre, l’ontologie, la peinture chinoise veut représenter la vie, l’énergie. Sylvia RHUD a su avec élégance, subtilité et une très grande efficacité synthétiser ces deux approches de la création picturale.
En outre, on ne peut passer sous silence l’expérience passée de Sylvia RHUD comme créatrice de bijoux pour de prestigieuses maisons telles Givenchy, Lanvin, Carità, cultivant ainsi son goût pour la préciosité des matières, ou Cerutti chez qui elle s’imprègne des subtilités que les tons des étoffes noires, grises, anthracites, peuvent exprimer, conférant ainsi à Sylvia RHUD une très grande maîtrise de ce que, d’aucun considèrent encore, comme des « non couleurs » !
Grâce à l’œuvre de Sylvia RHUD, nous nous réconcilions avec la notion de beau, si souvent oublié de la création contemporaine. Le beau : ce qui est donné à voir et qui procure, de ce fait, un plaisir sensoriel.
Fabrice AUTANÉ
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